01 octobre 2021
Actualité

Côte d’Ivoire-AIP/ « N’attendons pas de rattraper les complications post-avortement lorsque les patientes viennent mourir dans nos centres de santé », prévient Pr Privat Guié

Lors d’un entretien sur les chiffres alarmants des complications dues aux avortements clandestins, le chef de service gynécologie-obstétrique du CHU de Teichville, professeur Privat Yeret Guié, par ailleurs premier vice -président de la Société de gynécologie et d’obstétrique de Côte d’Ivoire (SOGOCI), nous éclaire un peu plus sur le projet « Plaidoyer pour l’avortement sécurisé en Côte d’Ivoire » (PPAS).

Qu’est-ce qu’un avortement ?

C’est un processus d’expulsion de l’œuf hors de la cavité utérine. Elle peut être volontaire (dans ce cas on parle d’Interruption volontaire de grosse-IVG) et l’avortement spontané (fausse couche). Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’IVG peut aller jusqu’à 22 semaines (près de 5 mois).  Au-delà de 22 semaines, on parle d’accouchements prématurés.

Quelques chiffres des avortements en CI?

Il y a beaucoup d’avortements clandestins dans la population féminine, et cela concerne toutes les couches d’âge, aussi bien scolarisés comme non scolarisés. 69% de filles en 2018 avaient déjà fait un avortement. En Côte d’Ivoire, la plus jeune maman a 8 ans…. il y a 40% de femmes qui ont déjà eu des antécédents d’avortement provoqué.

Vous voyez donc que c’est un facteur préoccupant pour la Société de Gynécologie et d’obstétrique de Côte d’Ivoire (SOGOCI). Nous voulons faire ce plaidoyer pour élargir la possibilité aux femmes qui le souhaiterait, de pouvoir bénéficier de ce service dans des services de qualité et non pas se cacher pour faire des avortements clandestins et tout son corollaire de dégâts.

La SOGOCI fait le plaidoyer pour un changement de comportement, et pour que le droit des femmes puisse être respecté, et réduire ainsi la mortalité maternelle et infantile.

Quelle est la différence entre un avortement clandestin et un avortement sécurisé ?

On parle d’avortement sécurisé quand le service est pratiqué par un personnel médical qualifié et dans un centre médical, une structure spécialisée. Ce qui se passe autrement est qualifié d’avortement clandestin.

Les complications des avortement clandestins?

Elles sont nombreuses, mais la principale sont les hémorragies; et sans prise en charge rapide, ces saignements peuvent provoquer la mort. La deuxième complication, sont les infections qui peuvent survenir deux jours ou même une semaine après l’acte. Si les mesures de sécurité ne sont prises, cela peut entraîner aussi le décès.

Les complications peuvent également provoquer l’infertilité, lorsque la patiente aura plus tard le désir de faire un enfant. Il y a aussi les douleurs pelviennes qui surviennent en permanence. Je vous épargne des conséquences liées à l’utilisation des comprimés, produits ou autres décoctions traditionnelles qui peuvent impacter à long terme la fertilité de la femme.Nous devons arrêter cela.

Dans l’exercice de notre métier, il nous est arrivé d’ôter des utérus perforés et infectés de filles de 15 à 16 ans qui ont utilisé ces pratiques. Il faut freiner ces conséquences irréversibles.

Que dit la législation ivoirienne sur l’avortement sécurisé ?

Selon la législation ivoirienne, l’avortement est pratiqué dans les cas où la vie de la mère ou de l’enfant est en danger. Mais avant de la pratiquer, le praticien doit avoir la caution d’un autre praticien avant d’exécuter l’acte. C’est ce qui existe depuis toujours. Mais, la Côte d’Ivoire a ratifié le Protocole de Maputo, un traité régional sur les droits de santé sexuels et reproductifs des femmes et l’a inscrit à son Journal Officiel en 2012.

Ce protocole en son article 14 C stipule d’offrir des soins avortement sécurisés lorsque la vie de mère et du fœtus sont en danger, en cas de viol, et d’inceste. Malgré les différents engagements, notre pays reste le seul des 10 pays francophones de l’Afrique de l’Ouest et du Centre à n’avoir pas de loi sur la santé de la reproduction.

Depuis mars 2021, cette législation autorise l’avortement aussi en cas de viol. Cependant, une grossesse issue de l’inceste ne fait pas partie des cas d’avortements sécurisés. Alors que ce cas laisse à réfléchir…

Quel est l’avis des religieux concernant cette loi ?

La plupart des religions interdisent l’avortement. Mais comme les sociétés et les mentalités changent, nous devons faire comprendre que certains cas doivent être revus. Dans un pays laïc comme le nôtre, laissons le citoyen faire ce qu’il veut faire, mais dans la juste mesure des choses. En réalité, lorsqu’une femme décide de faire un avortement, rien ne peut le lui enlever de la tête. Si elle est refoulée et/ou bêchée, elle va sûrement se tourner vers une personne non spécialiste qui peut l’aider à se débarrasser de cette grossesse indésirée, quitte à se faire « torturer ».

N’attendons pas de rattraper les complications post avortement lorsque les patientes viennent mourir dans nos centres de santé. Mieux vaut prévenir.

Il y a-t-il des centres de santé agréés pour pratiquer ce service ?

Pour les cas d’avortements « normaux », c’est-à-dire, lorsque la vie de la mère ou du fœtus sont en danger ou en cas de viol, tous les centres de santé sont habilités. Nous sommes pour le moment au stade du plaidoyer pour que nos communautés, nos décideurs et nos spécialistes s’imprègnent de ce concept. Notre rôle est de prévenir que de rester là toujours là à guérir, alors que quelques fois, nous n’arrivons même pas à guérir, car la patiente meure dans nos mains.

Que fait la SOGOCI pour la prévention des avortements ?

Notre premier indicateur est la réduction de la mortalité maternelle et infantile. Le droit à l’avortement sécurisé est un autre volet de notre projet. Dans le cadre du projet PPAS, nous avons installé des démembrements en région qui nous permettent de poursuivre sa mise en œuvre avec les sages femmes et infirmiers qui sont capables de prendre en charge les soins post avortements.

Nous avons au moins 440 gynécologues et obstétriciens et 6.000 sages-femmes/infirmiers qui ont pour mission principale d’œuvrer à l’amélioration de la qualité des soins en vue d’améliorer les indicateurs en matière de santé de la reproduction en Côte d’Ivoire. Ils sont aussi formés en clarifications des valeurs pour un changement d’attitudes et renforcement de capacités, car les patientes doivent être à même de trouver un personnel attentif.

Tous les décideurs régionaux, à savoir, l’administration territoriale et coutumière, des hommes de lois, la société civile…sont impliqués dans ce projet pour le plaidoyer sur la nouvelle loi sur la santé de la reproduction, même si elle n’est pas encore votée.

Nous faisons beaucoup de sensibilisation à travers les médias. Nos activités ne concernent pas seulement l’avortement sécurisé, nous prônons aussi l’abstinence pour les plus jeunes, les élèves et étudiant(e)s, et nous proposons des séances et services de planification familiale… En Côte d’Ivoire, 26% des femmes souhaitent prendre une méthode contraceptive, mais n’ont pas accès à ces services.  Pour vous dire qu’avec ce projet (qui a débuté en 2019 et prend fin en mars 2022), nous proposons tout un paquet d’activités pour la survie de la mère et de l’enfant.

Nous sommes donc tous impliqués (communautés, spécialistes, décideurs, médias), nous devons nous serrer les coudes pour préserver la vie de la mère et de l’enfant, car enfant, c’est la perpétuité de notre monde.

(AIP)

tls/fmo

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